Historique de Venise
Née à l'époque romaine, Venise
prends vie et forme durant les invasions barbares des VIe et VIIe
siècles. Duché byzantin, elle résiste lors de la chute de l'exarchat de
Ravenne et face aux pressions des Francs, jusqu'à acquérir son autonomie
autour du Rialto.
C'est dans ces lieux que sont apportés vers le milieu du IXe
siècle les reliques de Saint Marc, qui devient le patron de ce qui va être
la Civitas Veneciarum avec un doge (dux) à sa tête.
Promptement, Venise connaît un fort développement économique grâce à son
commerce maritime. A partir de l'an mil et durant les siècles suivants,
marins, marchands et armateurs créent un vaste empire en Méditerranée. La 4ème
croisade, machiavélique plan de Narsès, procurera à la République une
position prédominante, tant terrestre que maritime, au Levant, qu'elle
s'emploiera dès lors à défendre contre ses rivaux.
Les Origines
Ville à l'état pur, Venise est un
chef d'œuvre imposé par les hommes à la nature qui apparaît à l'origine
plus hostile que favorable à une urbanisation.
Les lagunes du nord-ouest de l'Adriatique, sont une immensité d'eau salée ou
saumâtre, de sable et de boue. Du nord au sud, on rencontre une zone
lagunaire étroite de l'Isonzo au Piave ; une zone plus large de Iesolo à
Chioggia, communiquant avec la mer par des passes (porti), percées
dans les cordons littoraux (litus / lidi) ; une protubérance formée
par le delta mouvant du Pô ; une zone lagunaire fermée entre Comacchio
et Ravenne.
La lagune centrale - proprement vénitienne - est une étendue d'eau calme,
peu profonde, mais soumise au flux et au reflux de fortes marées.
Originellement s'y distinguent, au milieu des marécages, plusieurs îles
(Murano, Burano, Torcello et autres) et un archipel (Rialto) d'une soixantaine
d'îlots, à peine immergés, groupés autour du méandre d'un ancien fleuve
(le futur Grand Canal).
L'accessibilité réduite de ce site, où l'on ne peut circuler qu'en barque
par des chenaux, en garantit largement la sécurité. Sa position marginale
par rapport à la terre ferme, parcourue pendant des siècles par les
envahisseurs, puis agitées par de nombreux bouleversements politiques,
favorise l'indépendance des habitants. L'insuffisance des ressources de
ceux-ci les pousse vers la mer, pour en tirer le sel et le poisson et y
pratiquer le commerce. Les difficultés du milieu engendrent encore chez eux
esprit d'initiative, esprit communautaire et civisme.
Les débuts
A l'époque romaine, Aquilée, au
nord, créée en 181 avant JC, est la capitale administrative de la région,
un port fluvial et un nœud de communication routière. Grado, toute proche,
est une base navale et un port maritime. Au sud, Chiogga contrôle le trafic
en direction de Padoue. Entre -44 et 476 la Vénétie constitue la dixième
région d'Auguste. Elle laissera derrière elle nombre de vestiges romains et
en particulier des routes.
En 402 après JC, les Goths d'Alaric, s'abattent sur Aquilée, dont ils
dévastent la province. Ils provoquent la fuite et l'exil temporaire de
population dans la lagune. Selon la légende développée ultérieurement par
les Vénitiens pour démontrer l'ancienneté de leur cité et la lointaine
origine de leur liberté, Venise aurait été fondée le 25 mars 421 dans les
îlots du rivus altus (Rialto).
En 452, Attila et ses Huns incendient de nouveau Aquilée et dévastent
Concordia. De même que précédemment, cette irruption a sans doute poussé
les habitants de la région à chercher leur salut au milieux des eaux et dans
les îlots de la lagune. Ainsi assemblées, ses populations auraient établies
vers 466 un système rudimentaire de gouvernement par des tribuns. La légende
prétend que l'invasion d'Attila s'est arrêtée au Pô grâce à
l'intervention du Pape Léon. Quoiqu'il en soit c'est sous la poussée des
peuples barbares que les populations prennent pied dans cette région.
Au milieu du VIe siècle, suite à une crise, les Byzantins
s'établissent dans la zone lagunaire et les Lombards eux, sur la terre ferme.
Les évènements militaires, politiques et religieux font se diriger les
nouveaux habitants de la lagune vers une indépendance du pouvoir Byzantin.
L'éloignement de Byzance favorise le rapprochement avec les Lombard et les
Francs. Il est tant pour les habitant de la lagune d'aménager leur
territoire. De grands travaux sont entrepris et il est difficile de
déterminer la frontière existante avec les Lombards.
Toutes les cités lagunaires sont dirigées par l'administration byzantine
ayant à sa tête l'exarque de Ravenne, qui gouverne jusqu'en 751, date de la
chute de la cité et de la fin de l'exarchat lombard.
Cet équilibre est brisé suite à la crise de l'iconoclaste, et pour
les premier habitants de Venise, la protection et l'alliance byzantine se sont
révélées non seulement utiles mais indispensables pour faire face aux
Lombards. L'empereur byzantin ayant interdit en 726 par un édit le culte des
images saintes, les Occidentaux se révoltent et les habitants de la lagune se
rangent à leurs côtés. L'armée "vénitienne" élit un "dux"
(doge) non byzantin. A la fin du conflit, celui-ci se soumet à l'exarque et
se voit confirmé dans ses fonctions par l'empereur. Mais il est assassiné
quelques dix ans plus tard et le gouvernement du pays est provisoirement
restitué aux maîtres des soldats, d'origine également locale, mais dans le
cadre de l'administration byzantine.
Cependant le royaume de Lombardie ayant été absorbé par l'Empire franc,
Charlemagne songe à annexer la Vénétie. Il envoie son fils Pépin à la
conquête de la lagune. Pépin s'empare de Chioggia, de Grado, de Cittanova et
de Iesolo, mais sa progression est bloquée par la résistance des populations
regroupées au Rialto, et il doit finalement se replier. L'année suivante,
lors d'un accord passé entre l'empire d'Orient et l'empire d'Occident,
celui-ci renonce à ses revendications sur la Vénétie qui demeure sous
suzeraineté byzantine. Même si les doges continuent d'être soumis en droit
à Byzance, qui leur accorde des titres honorifiques (dont celui d'hypatos,
"consul"), Venise tend à une indépendance de fait, s'isolant par
ailleurs du reste de l'Italie et échappant ainsi aux bouleversements
socio-politiques que celle-ci va connaître. Venise devient la frontière et
le point de contact entre l'Occident et l'Orient tout en reconnaissant au roi
des Francs, Charlemagne, le titre impérial.
Vers l'indépendance
L'organisateur de la résistance des
Vénètes contre les Francs, Agnello Parteciaco (ou Partecipazio), accède au
ducat en 811. De Malamocco, il se transporte dans les îles - plus sûres - du
Rialto et fait de sa demeure le palais du gouvernement. Ainsi s'établit là
le nouveau centre politique, commercial et religieux de la lagune. Les îlots
sont consolidés et y sont édifiées des maisons le plus souvent de bois,
couvertes de chaume, mais ayant déjà deux portes, l'une sur la terre,
l'autre sur l'eau. Toutefois, le titre d'hypatos (consul) porté par les
doges, affirme la dépendance vis à vis de Byzance.
Pendant deux siècles, les Parteciaci, les Candiani et les Orseoli se
disputent le siège ducal et s'efforcent d'installer leur dynastie sur le
modèle de Byzance, et envoie à cet effet leurs fils en ambassadeurs à
Constantinople. C'est une période agité que connaît alors la République
naissante.. Sur les mers les Vénitiens se défendent contre les Salves et les
Sarrazins avec l'aide de Byzance.
Ces batailles vont donner à la flotte vénitienne ses lettres de noblesse et
la République va en profiter pour installer ses comptoirs. La soie, les
étoffes, , les fourrures de prix, les parfums, les épices, les métaux
précieux et les esclaves sont des marchandises très prisées en Europe ; et
les marchands vénitiens peuvent fournir tout cela. Les Vénitiens eux
échangent leur principale ressource : le sel.
Vers la fin du premier tiers du IXe, Venise atteint ses principales
caractéristiques. Elle a à sa tête un doge élu et exerçant de très
larges pouvoirs et assisté par deux tribuns renouvelés périodiquement,
issus comme lui d'une aristocratie de grands propriétaires fonciers
investissant dans le commerce. Ainsi gouvernée Venise impose son influence
sur la lagune et la frange limitrophe de la terre ferme, affirmant sa position
aux confins des mondes byzantin, franc et slave. Enfin elle commerce entre
Constantinople et l'Occident.
En 840, la "province" devient un "ducat". Tout comme le
pouvoir politique change d'aspect, le nouveau saint patron de la lagune :
saint Marc se substitue au saint patron Byzantin : saint Théodore. Depuis la
première moitié du IXe siècle on frappe des dinars d'argent
semblables aux dinars impériaux, à l'effigie de Louis le Pieux et de
Lothaire portant la simple mention "Venecia", sans que l'on puisse
affirmer pour autant que Venise batte monnaie. Mais elles portent vers 875 au
revers la légende Christe salva Venecias
et, sur leur autre face, une inscription invitant le Seigneur à
"conserver" l'empereur "romain", c'est-à-dire d'Orient.
Au Xe siècle l'aspect de Venise est à peu près le suivant. Dans
la zone du Rialto, qui désigne alors les quartiers situés non au-delà mais
en deçà du Grand Canal, à l'intérieur des limites tracées par le canal de
la Giudecca et le canal de Murano, avec au milieu la courbe sinueuse du Grand
Canal, on distingue quelques églises et chapelles, le palais ducal en forme
de forteresse et une foule de maisons serrées les unes contre les autres,
souvent pourvues d'un jardin : encore en bois pour la plupart, elles
comportent aussi parfois des éléments architecturaux provenant de Cittanova
et de Malamocco, puis de Torcello et d'ailleurs. Alors que Torcello, en effet,
était au IXe siècle le siège d'un évêché et, selon un
empereur d'Orient, un "grand marché", elle commence à entrer
progressivement en déchéance au profit du nouveau centre.
La construction de Venise
Durant le Xe siècle, la
paix intérieure relative et la collaboration avec Constantinople apportent en
contrepartie des privilèges importants concédés par l'empereur Basile II et
permettent une politique de paix en Dalmatie. En même temps que sa domination
sur la mer de l'Adriatique, Venise y étend son influence politique au travers
de ses délégués impériaux. Cette période est néanmoins troublée
suite à des tentatives avortées par le peuple, de prise de pouvoir par des
familles tribunitiennes telles que les Parteciachi, Orseoli et autres les
Candiani. Se genre de crise lorsque ce ne sont les éléments naturels tels
des tremblements de terre, déchire les hommes mais aussi la ville qui est
maints fois incendiée et détruite. Cependant cela offre un renouveau de
l'urbanisation et Venise ne cesse de grandir.
Les classes sociales apparaissent de plus en plus au fil de la distinction qui
s'établit entre les biens privés et publics et les biens et les intérêts.
Le mode de vie sert aussi à différencier les classes : les familles ayant un
pouvoir par le Cens (familles enrichies par le négoce et qui investissent
leur fortune dans la terre) ou par appartenance (familles de tribun ou de
magistrats) et enfin le peuple (artisans, exploitants des salines,
constructeurs de navires, verriers,...). Enfin les familles sont reconnues par
des noms de famille. Tout ceci atteste du besoin des hommes à se reconnaître
du fait de leur croissance. En cette fin de siècle, Pietro Orselo II,
rétablit l'union à l'intérieur, assure la reconnaissance de la cité par
les empires d'Orient et d'Occident, affirme l'autorité de Venise sur
l'Adriatique.
Avec Constantinople, le doge établit des relations étroites et confiantes,
en jouant de l'appui qu'il apporte sur mer à l'empire d'Orient. En 992, un
chrysobulle (bulle d'or) impérial, témoigne déjà de ce fait. Les
commerçants vénitiens y obtiennent une réduction des taxes sur leurs
marchandises et le traitement directe de leurs affaires par les services
financiers de la capitale. En retour, Venise s'engage à transporter en toute
occasion les soldats impériaux du Bosphore aux territoires byzantins d'Italie
méridionale. L'obligation est lourde, mais elle sous-entend la substitution
dans l'Adriatique de la marne vénitienne à la marine impériale et la
reconnaissance implicite de sa puissance et de son autorité dans la région.
En l'an mil, le doge lance une expédition contre les Slaves de la Narentana (Naretva).
Il remporte une brillante victoire navale à Zara, s'empare de Curzola et
de Lagosta, importantes bases des pirates. Il les contraint à renoncer au
paiement d'un tribu par les Vénitiens et établit son autorité sur une large
part de la côte dalmate. Cette réussite est comme symbolisée par le titre
de dux Dalmatinorm qui lui est conféré. Elle va être commémorée
chaque année, le jour de l'Ascension, par une cérémonie religieuse
célébrée en mer, qui présage les futures "noces de la
mer".
Ayant d'autre part signé certains traités commerciaux avec les Arabes en
Méditerranée, Orselo lance cependant en 1002 une expédition victorieuse
contre les Sarrasins qui avaient attaqué et assiégé Bari.
Le doge réussit en somme si bien dans sa politique d'équilibre entre les
deux empires qu'il marie un de ses fils à une nièce de l'empereur de
Constantinople et un autre à une belle-sœur du chef du Saint Empire romain
germanique. En 1009, il disparaît, et son fils Othon (filleul de l'empereur
du même nom) lui succède. Le fils, qui n'égale pas son père, est chassé
en 1026 et doit s'enfuir à Constantinople. Cet échec final du clan des
Orselo n'enlève rien à leurs succès antérieurs : "Ils ont indiqué la
voie à suivre : simples relations de bon voisinage avec l'empereur
d'Occident, importance de l'entente traditionnelle et si utile avec l'Orient
byzantin, qui permet le développement du commerce maritime".
Élu doge en 1042, Domenico Contarini, estimant que la construction de
Saint-Marc telle qu'elle a été lancée par Pietro Orseolo n'est pas à la
mesure de la cité, commande de nouveaux projets sur les plans des
Saints-Apôtres de Constantinople. Il fait appel à des artistes ravennates
pour les mosaïques et demande aux marchands de retour d'Orient d'apporter
marbres et sculptures pour embellir l'édifice.
En 1062, Contarini lance une nouvelle expédition maritime victorieuse en
Dalmatie et s'empare de Zara.
Domenico Selvo, son successeur, conclut en 1071 avec l'empire d'Occident une
convention favorisant le commerce vénitien en Italie du Nord. Alors que les
Normands de Robert Guiscard ont pris Bari et Amalfi (1071) puis Salerne
(1076), mettant en péril les relations entre Venise et l'Orient, à l'appel
de l'empereur Alexis Ier Comnène, le doge lance contre eux de très dures
campagnes, faites de succès mais aussi de revers : le dernier, essuyé par
Selvo devant Corfou en 1084, lui vaut d'être déposé.
Au cours de ces luttes, l'empereur d'Orient accorde par un autre chrysobulle,
en 1082, d'importantes concessions aux Vénitiens. Le doge s'y voit décerner
le titre perpétuel de protosébaste et une pension (roga) à vie. Aux
marchands vénitiens sont accordés des magasins et des quais à
Constantinople, un four et des points d'ancrage, ainsi que l'autorisation de
commercer librement avec une série de ports et de places. Consacrant la
politique Adriatique de Venise, cet acte reconnaît la quasi-autonomie de
celle-ci par rapport à l'empire d'Orient. "Par le privilège qu'il leur
accorde en 1082 l'empereur ouvre (aux Vénitiens) toutes les grandes portes de
l'Orient. Ce jour-là commence le commerce mondial de Venise" (Diehl). Et
Vitaliano Falier reçoit en 1094 le titre de dux Croatarum.
C'est à la même date qu'est solennellement consacré la basilique de
Saint-Marc. Après avoir disparu lors de l'incendie de 976, les restes du
saint sont miraculeusement retrouvés dans le transept sud du nouvel édifice
et inhumés dans la crypte. Le miracle ajoute au prestige d'un monument qui
est alors le plus somptueux du monde occidental : Saint-Marc témoigne avec
éclat de la pitié, de la richesse et de la fierté nationale des Vénitiens.
Alors qu'au début du siècle Venise n'était encore qu'une active bourgade de
pêcheurs et d'artisans, elle atteint à la fin du XIe une taille
et un statut beaucoup plus importants. Assisté de sa cour, de hauts
dignitaires et d'une administration propre, le doge gouverne. Réuni en
assemblée publique, le populus l'élit par acclamations et exerce une
activité législative et judiciaire. L'élément social dominant est
constitué par des case vecchie (vieilles familles), Contarini,
Orseolo, Falier, Badoer, Michiel, Giustinian, qui possèdent de vastes
domaines et investissent toujours plus dans le commerce, et les case nuove
(familles nouvelles). Les sociétés commerciales qu'elles constituent
s'appellent rogadie et colleganze. Les premières confient à
un marchand des marchandises, à charge pour lui de les vendre ; les secondes
associent capital et travail, les bénéfices étant partagés par moitié et
les pertes dans le rapport deux tiers/un tiers.
Au dessous de ces primati se situe une couche, non structurée en
corporations, de petites gens qui - selon un chroniqueur étranger du temps -
"ne laboure, ni ne sème ni ne vendange", mais vit de la mer.
Bien qu'ils n'y aient pas pris part, la 1ère Croisade et la prise de
Jérusalem par les occidentaux vont bientôt ouvrir des perspectives nouvelles
aux Vénitiens.
Face aux difficultés, le sursaut
Venise n'entre pas avec bonheur dans
le XIIe siècle, ce début de siècle est ponctué de catastrophes
naturelles (séisme, importantes montées des eaux,...), d'incendies, et de
heurts avec des voisins jusque là assez calmes (Koloman, roi de Hongrie).
Venise se rend compte qu'elle doit maintenir une pression militaire sur
l'Adriatique. En outre la République se rend vite compte du risque de
concurrence des autres cités italiennes en Méditerranée orientale. Le fait
que les vénitiens se soient abstenus d'intervenir lors de la 1ère croisade
leur porte maintenant un grave préjudice. Les autres Républiques en ont
profité pour s'établir elles aussi en Méditerranée. Les Vénitiens
n'interviennent qu'après avoir pris conscience des avantages obtenus par leur
voisins Pisans en Terre Sainte. La flotte ainsi partie en guerre revient
victorieuse.
Suite à cette campagne où les vénitiens prennent pied à Jérusalem,
d'autres se succèderont. Ils battent ainsi les Égyptiens mettant fin à la
domination sarrazine en Méditerranée orientale. En 1124, ils participent à
la prise de Tyr qui se rend après un long siège. En récompense des services
rendus, ils obtiennent un quartier à Acre et le tiers de la cité de Tyr. Ils
fondent bientôt alors des colonies dans les villes du royaume de Jérusalem,
avec une église (souvent dédiée à Saint-Marc), un moulin, un four, des
bains et une place, qui bénéficient d'une exemption de taxes, d'impôts et
de droits de douane ainsi que d'un privilège de juridiction.
Contre les Hongrois, Venise s'efforce de reprendre pied dans les villes
dalmates après la mort de Koloman en 1114. En 1115-1116, elle reconquiert
Zara et Sebenico ; elle maintient les institutions locales, mais les soumet au
contrôle de "comtes" vénitiens. En 1125, elle doit reprendre la
lutte contre les Hongrois d'Etienne II et, récupérant Spalato et Traù, fait
de l'Adriatique Nord "le golfe de Venise", selon l'expression d'un
cartographe de l'époque.
Son appui militaire et économique étant indispensable à l'empire d'Orient,
Venise obtient, malgré de graves problèmes de coexistence entre ses
marchands et les Grecs, par un chrysobulle de 1126, le rétablissement de ses
droits. En 1148, un nouvel édit impérial étend la superficie de la colonie
vénitienne le long de la Corne d'Or. Rhodes, Chypre, les îles de l'Égée
s'ouvrent au commerce vénitien.
Sur la terre ferme, enfin, la cité de la lagune entre en conflit avec Padoue,
sa voisine qui veut détourner les eaux de la Brenta, au risque de troubler
l'équilibre de la côte. Venise l'emporte aisément dans ce différent local,
qui l'amène pour la première fois à faire appel à des mercenaires dans un
conflit exclusivement terrestre.
Grâce à leur capacité à réagir et à leur dynamisme, les Vénitiens ont
donc donné, durant la première moitié du XIIe siècle, une
forte impulsion à leur commerce mais aussi à la vie interne de la cité.
Sur le plan économique, ils se font les pourvoyeurs de l'Italie et de
l'Allemagne en soieries, épices, coton, sucre, parfums et pierre précieuses
de l'Orient ; ils exportent vers celui-si du bois, du fer et du cuivre ; ils
établissent à leur propre profit le monopole du sel.
Au début du XIIe siècle apparaissent de nouvelles associations
entre marchands vénitiens, mieux adaptés au développement de l'aire
économique qu'ils dominent maintenant, de la Syrie à la Roumanie, de la
Grèce à l'Égypte. Ce sont des "compagnies", formées de deux ou
plusieurs associés, apportant chacun une part de capital, travaillant tous,
solidaires les uns des autres, et se partagent profits et pertes au prorata de
leur apport d'argent.
Au fil des années, toutefois, le pouvoir tend à passer "à une entité
abstraite, l'État". D'une part, le patriarche, les évêques et les
abbés cessent de participer aux affaires politiques : ainsi s'amorce l'une
des données fondamentales de la politique vénitienne, la séparation de
l'Église et de l'État. En 1143 apparaît d'autre part un conseil des sages,
recruté au sein de l'aristocratie des principes
ou nobliores : élu par le populus, qui lui délègue une
partie de son autorité et se contente d'approuver ses décisions, il est
présidé par le doge. Conjointement, se fait jour un conseil mineur formé
des proches de celui-ci. Ainsi l'on assiste à une progressive limitation des
pouvoirs du doge et du parlement (arengo). En 1147, les ambassadeurs
vénitiens envoyés à Constantinople s'expriment au nom du doge et "de
l'ensemble de la Commune".
Problèmes extérieurs et remise en
ordre intérieure
La seconde moitié du XIIe
siècle, entre l'élection du doge Vitale Michiel II et la 4ème Croisade
(1204), est marquée pour Venise par de graves difficultés sur le plan
international, dues à l'intervention de l'empereur Frédéric Barberousse en
Italie, à l'hostilité des empereurs d'Orient et à des révoltes en
Dalmatie. Du fait de sa position entre l'Orient et l'Occident, Venise est
prise dans les heurts qui oppose les deux Églises. De plus, l'empereur
germain Frédéric Barberousse s'emploie à renforcer son autorité en
Allemagne, puis en Italie face à la papauté. Il accorde une place
privilégiée aux Vénitiens dans sa "restructuration". La
République s'en sort encore avec plus d'avantages et une plus grande
autonomie. Elle sera en outre le théâtre et le lieu de réconciliation du
Pape et de l'Empereur. Ici la cité y gagne en pouvoir religieux par la
confirmation par le Pape du pouvoir du patriarche du Grado sur les
communautés de la lagune, d'Istrie et de Dalmatie. De son côté l'empereur
reconnaît autonomie de la République.
Par contre, en Orient, la tension ne cesse d'augmenter entre Venise et
Constantinople. L'empereur, qui a accordé aux Génois concurrents de Venise
sur l'Adriatique, des privilèges et un quartier à Constantinople. En 1171,
les Vénitiens se font expulser du territoire impérial et se font confisquer
leurs biens et leurs navires. Le doge Vitale Michiel organise une opération
maritime de représailles, dont il prend la tête, mais celle-ci échoue du
fait d'une épidémie. A son retour, vivement contesté par ses concitoyens,
le doge essaie de fuir, mais il est assassiné en 1171.
En 1179, confronté à de fortes difficultés en Italie et en Asie Mineure,
Constantinople libère ses prisonniers et leur fait restituer leurs avoirs et
leurs biens. En 1182, sous Andronic Comnène, successeur et cousin de Manuel,
est perpétré un massacre général des Latins présents à Constantinople,
les principales victimes sont toutefois les Pisans et les Génois, alors plus
nombreux que les vénitiens dans l'Empire. L'année suivante, un rapprochement
s'esquisse entre Venise et Andronic.
En 1187, un accord stipulé entre la République et l'empereur Isaac
Ange, qui a renversé Andronic et lui a succédé, prévoit, en cas d'attaque
menée contre l'empire, la mise à disposition de celui-ci de galère armées
et commandées par des Vénitiens. C'est une reconnaissance de l'importance de
la marine de la nouvelle Venise.
En 1198, enfin, Alexis III, qui a détrôné et fait emprisonné son frère
Isaac, signe un chrysobulle, qui fixe les régions d'accès des marchands
vénitiens dans l'empire et leur fournit des garanties judiciaires. Même si
l'on persiste à déclarer que les Vénitiens sont des sujets de l'empereur et
lui doivent fidélité, le doge ne porte plus le titre de protosébaste, pour
marquer son indépendance et celle de la République.
Restent les périls courus par Venise en mer et sur les rivages orientaux de
l'Adriatique. Soutenues par les Hongrois, les cités Dalmates tentent à
plusieurs reprises de secouer le joug vénitien. En 1170, la flotte de la
République écrase la révolte à Zara. En 1180, deux expéditions ne
parviennent pas à reprendre la cité de nouveau soulevée. En 1196, Zara et
Raguse se révoltent encore et appellent à l'aide Pise, Ancône et les
Normands.
Les importantes réformes institutionnelles mises en oeuvre à Venise durant
la deuxième moitié du XIIe siècle ne sont pas sans rapport avec
les difficultés rencontrées sur le plan international.
Ainsi, c'est en 1171, après l'assassinat du doge Vitale Michiel, que
l'assemblée du peuple élit une commission de onze membres chargée de
désigner à son tour le doge. Un peu plus tard, la ville est divisée en six sestieri
: Castello, Cannareggio, Dorsoduro, San Marco, la Giudecca et San Polo. Un
Grand Conseil de quarante membres forme alors le nouvel électorat du doge.
Progressivement émergent de nouvelles magistratures élues pour un temps
donné : financières (trésoriers et Procurateurs de Saint Marc), juridiques
(où l'accusation et les droits de l'État sont soutenus par un avocat de la
commune), administratives.
En 1192, après l'abdication de Mastropiero, le doge nouvellement élu, Enrico
Dandolo, prononce la première promissio domini
ducis (promesse ducale). Il jure sur l'Évangile d'observer les devoirs
de sa charge, à savoir, notamment : faire exécuter les lois sans
fraude ni arbitraire, rendre en conscience les sentences après avoir entendu
la loi et les juges, n'accepter ni dons ni faveurs, ne pas avoir de
correspondance personnelle avec le pape et les princes, faire appliquer les
décisions des conseils.
Aujourd'hui
Le développement de l'urbanisme et
des structures politiques et sociales se poursuit sous l'impulsions des
nouveaux besoins de la vie publique et complète l'ensembles des édifices. La
gravité de la situation à Byzance de ces quelques dernières années a
prouvé aux Vénitiens la précarité de leurs accords commerciaux. Mais avec
les premiers vents de la 4ème croisade qui s'annonce, Venise se retrouve à
dominer plus du quart de l'Empire. Cette puissance sera-t-elle suffisante ?